COMMENT GLOBULON DEVIENT GLOBULETTE ?
Globulon, ayant désormais accès à une nourriture en accord avec son appétit, ainsi que moi par la même occasion, prospérait à vue d’œil et, puisque je ne doutais pas un instant de son appartenance au sexe féminin, je m’émerveillais de voir ma Globule prendre des formes et ne plus être cette pauvre petite arête desséchée qui, durant des semaines, avait été si pitoyable à contempler.
Tout me plaisait, dès lors, de sa silhouette allongée à sa belle couleur d’un vermillon luxuriant, de ses yeux qu’elle passait des heures à maquiller à sa petite moue qui prêtait à son expression un rien de désappointé et de distant. Evidemment j’étais fou amoureux mais un peu timide. Elle m’impressionnait et je ne savais comment m’y prendre pour lui exprimer ma flamme sans sombrer dans le ridicule. Un matin, où il faisait très beau – c’était le printemps bien sûr – je me suis jeté un défi et j’ai osé frayer avec elle, comme il se doit dans le monde aquatique, frayer étant l’équivalent pour vous de … flirter. Je me suis tendrement approché et je l’ai couverte de baisers qui n’ont pas eu l’air de lui déplaire, si bien qu’Armelle, qui assistait à la scène, s’est écriée, sous l’effet d’une seconde illumination : « Eh bien, ça alors, ce n’est pas un Globulon que nous avons, mais une Globulette ! »
A défaut de retomber sur nos pieds, nous retombions sur nos nageoires et la vie prenait enfin une tournure normale et une vitesse de croisière satisfaisante : nous mangions à notre faim, nous étions Globulette et moi réhabilités dans nos rôles respectifs et nos sexes distinctifs. De plus, Yves et Armelle s’étaient empressés d’acheter des livres sur le monde aquatique et de se familiariser avec cette science tout aussi complexe que la vôtre, de même qu'ils nous offraient un nouvel aquarium plus grand et rectangulaire d’une cinquantaine de litres – car rien de pire qu’un bocal qui nous oblige à tourner en rond à longueur de jour et de nuit et nous rend fous à la longue – où nous étions moins à l’étroit. Leur apprentissage prenait bonne tournure et nous allions bientôt bénéficier – cerise sur le gâteau - chaque semaine au moment du changement d’eau de quelques gouttes d’Aloès Vera dont les propriétés sont tout aussi profitables pour le velouté de votre peau, mesdames, que pour la luisance de nos précieuses écailles.
C’est vous dire que nous goûtions enfin un certain confort dont le principal mérite était de nous enjoliver l’humeur. Raison pour laquelle je m’aventurais à faire des plans sur la comète. Pourquoi ne pas fonder une famille ? Nous étions en pleine santé dorénavant … mais Globulette renâclait, elle se trouvait trop jeune et puis, me disait-elle, tu nous vois avec une bande d’alevins – car nous ne faisons pas les choses à moitié nous autres les poissons – lorsque nous procréons, c’est tout de suite en nombre. Oui, je trouve - poursuivait-elle - que notre aquarium, bien que plus confortable, ne se prête pas à accueillir une famille nombreuse. Tu sais que c’est la crise du logement, alors attendons des jours meilleurs.
Je m’inclinais. Comment pourrais-je jamais la contrarier et voir son aimable frimousse s’enchiffonner. C’est vrai que nous étions si bien tous les deux, amoureux, tranquilles, nourris, appréciés de nos hôtes et, au final, heureux comme des poissons dans l’eau.
NAUTILIUS