LETTRE A TANTE JANINE
Chère tante Janine,
Il faut que je te raconte la dernière aventure qui nous est arrivée à Globulette et moi dans notre joyeuse existence de poissons privilégiés. C’est avant-hier que cela s’est passé, jour où Armelle tenait à changer ce qui se trouve dans la boîte technique, entre autre le charbon sensé nous conserver une eau transparente. Mais la malheureuse a dû se mélanger les pinceaux car, au bout d’un moment, Globulette et moi évoluions dans une eau devenue glauque comme si plusieurs seiches s’étaient mises à nous déverser leur encre. Où es-tu Nautilius ? Où es-tu Globulette ? – nous lancions-nous l’un à l’autre, partagés entre un bon fou rire de poisson et une compréhensible inquiétude. Et au-dessus de nos têtes, la pauvre Armelle soupirait, se désolait, rouspétait après Yves qui tentait bien maladroitement de lui prêter main forte, tous deux visiblement paniqués par cette fausse manœuvre. Il parait que quelque chose coinçait dans la boîte technique, alors que Globulette et moi nous déplacions à tâtons dans ce jus noir. Enfin, après moult essais, Armelle s’est aperçue qu’elle s’était trompée de boîte de charbon et mis, par erreur, l’ancienne à la place de la neuve. Sacrebleu ! Il a fallu du temps avant que nous sortions de ce marasme. Heureusement nous en avons vu d’autres et ce n’est pas un incident de ce genre, désagréable certes, qui allait nous mettre la rate au court-bouillon. Globulette a conservé son sang-froid et moi mon naturel enjoué. Quand l’eau est redevenue claire et là, je dois à la vérité que, dès le lendemain, elle était d’une transparence et d’une clarté rarement vue, nous avions l’impression d’être immergés dans du cristal. Ainsi sommes-nous passés du pire au meilleur sans que cela altère notre bonne humeur …
Autrement tout baigne ! Globulette est bien un peu dissipée. Elle est remuante et ne cesse pas de saccager les belles plantes qu’Yves nous achète, parmi elles la fameuse « cabomba», dont elle fait une consommation éhontée, si bien qu’Yves l’appelle « sa danseuse» tant elle lui coûte cher en plantes diverses. Il lui arrive de la gronder un peu quand elle sectionne les unes et les autres comme une vraie bucheronne, cela toujours la veille du jour où a lieu le grand changement d'eau et de plantes. Que l'on ne me dise pas que les poissons n'ont pas de mémoire et le sens du temps qui passe. Mais rien ne l’intimide. Quant à Armelle, elle lui cède tout en souvenir de ce que la pauvre a enduré pendant les mois où elle mourrait de faim. Depuis, Globulette s’est bien rattrapée et, le soir, il faut que je me batte comme un lion pour gober mes paillettes. Oh ! j’exagère un peu mais elle est vraiment goulue. Un peu brut de décoffrage, ma coloc ! Mais c’est ainsi et je l’adore. Je me dis que la vie est belle et je souhaite qu’elle le soit aussi pour toi, chère tante Janine, et pour ta sympathique bête à poils. A ton intention, trois ou quatre loopings avec descente en vrille, du plus bel effet.
NAUTILIUS